vendredi 30 janvier 2009


Jeudi 29 janvier 2009, São Paulo.
Fin de journée à São Paulo. Il a cessé de pleuvoir. Reste un fond de chaleur moite qui n’est pas désagréable, surtout avec cette petite brise. Un soleil timide se fraie un chemin dans un grand toit de nuages. Je suis fourbu après une heure et demie dans un bus bondé à faire du surplace. A certaines heures la circulation s’arrête à São Paulo. On ne peut plus avancer, plus reculer . Un jour peut-être la ville s’arrêtera complètement, paralysée. Il n’y a plus que les « motoboys » qui se faufilent entre les bagnoles et les bus. Avec de grands risques : tout à l’heure nous en avons croisé un, étendu sur la chaussée, saignant en attendant l’arrivée des secours...
Dans le bus j’étais lourdement chargé. A un moment j’ai senti que l’on tripotait mon sac c’était une dame assise qui me proposait très gentîment de me soulager de ma charge un moment et de prendre mon sac sur ses genoux. C’est une coutume brésilienne qui existe même à São Paulo.

Deux jours passés en coups de fil, en réunions. Je jette mes filets. C’est très « pauliste » on cherche à rentrer dans la danse, à s’insinuer dans la ronde. Avec ceci que les brésiliens aiment bien les nouveaux venus, les étrangers. Je suis généralement bien reçu. En réalité les brésiliens ( et les brésiliennes) aiment les relations humaines, aiment séduire et être séduits, aiment le jeu de la relation et l’échange d’énergie qu’elle suppose. La convivialité est le grand art du Brésil qui est aussi, par ailleurs, un pays de rapports de forces cruels.

Vers le soir, je rencontre des amis. Ainsi avant-hier je retrouve Max, réalisateur de documentaires qui a sa propre maison de production. Il me donne rendez-vous dans un petit bar de la Vila Madalena, le quartier « bohême » de São Paulo où les bistrots s’alignent l’un à côté de l’autre. En cette heure, 18h30, tous ces établissements sont déjà plein d’une faune animée, exubérante. Max réalise, pour l’UNICEF, un documentaire sur l’évaluation du système d’enseignement (primaire et secondaire) brésilien. Après avoir fait la même chose dans l’état de São Paulo. Max est un passionné et il sait que le sujet me passionne aussi. Il se lance dans de grandes explications sur la nécessaire révolution pédagogique que nous devons (tous) entreprendre . Très vite la conversation savoureuse rebondit et passe d’un sujet à l’autre. On se retrouve à refaire le monde au bistrot et le chantier est d’ailleurs bien avancé quand il faut malheureusement nous séparer car Max doit aller récupérer ses enfants.
Dans un monde de spécialiste froids nous sommes, Max, moi et quelques autres, les multidisciplinaires gourmands. Nous voulons tout savoir sur beaucoup de choses, embrasser la littérature, la musique, le cinéma, l’histoire, la philosophie, la médecine, l’écologie, la gastronomie...Un peu comme le Gargantua de Rabelais qui avait un inépuisable appétit de « gai savoir ». A tel point d’ailleurs que Max et quelques professionels de haut niveau de São Paulo de différents secteurs ont créé un groupe d’étude, le LINC ou « Laboratoire d’Intelligence Collective », l’expression est forte et renvoie, d’une certaine façon à ce génie du « vivre ensemble » qu’ont les brésiliens. Leur site, passionnant mais en portugais : www.linc.org.br.

Après cette conversation phénoménale j’ai besoin de nourriture consistante. Je tombe, dans le quartier ou je réside, sur un restaurant de plats typiques du Nordeste du Brésil. Comme je l’indiquais dans un précédent chapitre il y a beaucoup de nordestins à São Paulo. Alors ils « tuent un peu la saudade » du pays en se retrouvant dans ces petits estaminets où, généralement, on mange admirablement.
« O cantinho de Martinho » ( le petit coin de Martin) est formé de deux salles contigües. Au plafond pendent des chapeaux de paille et de cuir, des bouteilles de cachaça et de piment, des étriers, des paniers en osier, des grappes d’ail, des cornes de vaches, des lance-pierres...l’intérieur est assez obscur et rempli d’odeurs délicieuses de ragoûts mijotants. Au mur des étagères avec quantité de cachaças aux noms pittoresques : « Duvido » (Je doute), « Amansa Sogra » (Calme belle-mère), « Gostosa », « Boazinha », « Insinuante », « Nabunda », « Atrás do saco », « Chupa cabra » et enfin : « Chora no pau Claudionor ». Non, je ne vous traduirai pas ces noms. Il faudra que vous trouviez dans votre entourage un brésilien ou une brésilienne pour vous éclairer.

Bref, je commande séance tenante un chevreau avec riz et feijão de corda ( un haricot sec préparé à l’oignon et au lard) arrosé d’un piment très parfumé et je me régale. Tandis qu’à côté une joyeuse assistance boit, chante, danse et s’esclaffe. Nous sommes mercredi soir à São Paulo sur la planète terre et je ne crois pas que demain soit un jour férié pourtant la fête bat son plein.