vendredi 13 novembre 2009

Frédéric Pagès au salon du livre de Belém


Et je reprends le fil de ce blog que j’avais interrompu il y a neuf mois…..

Mercredi 11 novembre 2009

Moiteur sur Belém. Il paraît que c’est l’hiver. Bientôt ça sera la saison des pluies. Mais pour l’instant c’est l’étuve avec un temps un peu voilé et des nuages qui traînent. Le choc est toujours d’une violence inouïe quand, en quelques heures d’une nuit mal dormie on bascule d’un hémisphère dans l’autre, d’une planète dans l’autre, davantage encore à Belém qui est un autre Brésil sous les apparences du Brésil, où le temps ne s’écoule pas de la même façon, où les mots n’ont pas tout à fait le même sens et où, plus encore qu’ailleurs, il faut se débrouiller avec cette énergie puissante qui déborde dans tous les sens, avec cette cohue des désirs et des angoisses qui caractérise le monde en général et le Brésil en particulier, avec cet « in-formalisme », cette manière d’improvisation permanente qui donne au quotidien des airs de concert de Free-Jazz.

Après de multiples péripéties qu’il serait un peu laborieux de rapporter ici mais avec lesquelles on pourrait écrire un gros livre nous avons, Xavier Desandre-Navarre et moi-même, donné notre concert « Ave Césaire » hier soir au Salon du Livre de Belém. Comment ce petit miracle a-t-il pu se produire ? Les esprits et les anges gardiens ont dû beaucoup travailler pour nous guider dans le dédale des démarches, des ordres et contre-ordres, des obstacles de toutes sortes qui se sont dressés…. Car il a fallu ramer avec force contre le courant de toutes les inerties, de tous les vents contraires, de toutes les tracasseries.

Et puis soudain, à l’heure dite ou à peu près, vers 18h30, le tumulte s’apaise, les techniciens brésiliens du son et de la lumière s’activent avec compétence, nous nous installons dans le petit théâtre mis à notre disposition, tout se met en place rapidement avec quelque chose, oui , qui tient de la grâce et du miracle.

Dés les premières notes, on sent que l’énergie est là, le son est puissant et précis et même la diffusion à tue-tête d’un opéra dans une salle voisine ne parviendra pas à nous déstabiliser. Nous livrons ici le fruit des mois de travail, un voyage de mots-musiques et de mots- médecine guidé par le verbe d’Aimé Césaire qui parlait, lui, de « mot-macumba », mots de pouvoirs (au bon sens du terme) et mots de guérison, car le propos de la poésie de mots et de musique est de masser, de guérir , de révéler peut-être… ça n’est pas nous qui faisons de la musique, c’est la musique qui nous fait, ce sont les mots qui nous emmènent , nous ne faisons qu’accompagner le mieux possible une forme, un mouvement, une danse…

Mots de Césaire, donc mais aussi prose de Guimarães Rosa et de Raul Bopp que nous travaillons depuis des années Xavier et moi, mots de Max Martins, un grand poète de Belém qui est mort au début de l’année et que j’avais eu le privilège de rencontrer il y a quelques années, mots aussi de Dalcidio Jurandir, un immense écrivain d’ici encore très méconnu, disparu à la fin des années 1970 et dont on célèbre le centenaire. Son fils, José Roberto, nous fait l’amitié de venir assister à notre concert. La grande nouveauté pour moi, pour nous, c’est que ce « concert littéraire» est entièrement bi-lingue. Nous avons voulu cette fois-ci, mêler et tresser intimement non seulement les mots et les rythmes, le son et le sens mais aussi le français et le portugais. Les langues s’interpénètrent, soit en traduction , soit en écho. Certains textes sont donnés soit en portugais ou soit en français, pour d’autres on livre en parallèle les deux versions. C’est assez sportif mais très riche, lorsque, par exemple nous entremêlons intimement deux poèmes, l’un d’Aimé Césaire et l’autre d’un poète paraense (du Pará) de la négritude un peu antérieur, Bruno de Menezes, deux poèmes qui ont le même titre : « Batouque » et qui sont, chacun à leur manière de véritables partitions verbales de rythme et de danse. Je ne sais si, dans la vie réelle, ces deux poètes ont eu l’occasion de se rencontrer et de communiquer car cette coïncidence est troublante mais je sais que ce soir Aimé Césaire et Bruno de Menezes dialoguent en direct sur cette scène du Salon du Livre de Belém :
Aimé Césaire :
« Batouque des mains
Batouque des seins
Batouque des sept pêchés décapités
Batouque de défis de guêpiers carminés
Dans la maraude du feu et du ciel en fumée… »
Bruno de Menezes :
« Rufa o batuque na cadência alucinante
do jongo do samba na onda que banza.
Desnalgamentos bamboleios sapateios, cirandeios,
Cabindas cantando lundús das cubatas. »

Bruno Stefani, le directeur de l’Allliance Française de Belém qui nous a constamment soutenu dans cette aventure, vibre à notre manière de faire sonner ces textes. On sent chez lui une grande connivence avec le Brésil de Belém, une grande compréhension amicale de ce pays. D’ailleurs le stand de l’Alliance Française au Salon du Livre de Belém ne désemplit pas.

Plus tard, avec Gunter Pressler, professeur à l’Université Fédérale du Pará qui nous a aussi donné un sérieux coup de main et avec José Roberto, le fils de Dalcidio Judandir, accompagné de son épouse, on se lèche les doigts au cours d’un dîner tardif au bord d’un des affluents du fleuve Amazone, en découvrant les saveurs inouïes d’un plat de crevettes au risotto de pupunha (un délicieux petit fruit local) et d’asperges, et d’un Tucunaré (poisson du fleuve) grillé accompagné d’un couscous à la mangue, tout en sirotant des bières brassées ici même, parfumées aux arômes de fruits d’Amazonie.