mercredi 18 février 2009


Vendredi 13 février

Une petite heure d’avion et voici São Luis do Maranhão, Saint Louis du Maragnan, fondée, paraît-il, par deux gentilshommes français au XVIe° siècle. Peut-être est-ce pour cette raison qu’il y a comme un je-ne-sais-quoi de chic et de huppé dans la vieille ville (Je plaisante). Il n’en reste pas moins que le centre ancien de São Luis est impressionnant: vastes demeures aux salles immenses, beaux édifices recouverts de faïences, fontaines, rues pavées... le tout un peu rongé par l’humidité et la végétation mais qui garde fière allure. Autour de “l’île” qui est le site premier de la cité, la ville moderne s’étend et grignote le paysage, et, comme dans les autres grandes villes côtières du Brésil, un processus d’urbanisation assez violent fait s’aligner des buildings plutôt impersonnels sur le front de mer.

L’arrivée en avion sur São Luis est, une fois encore, spectaculaire. On survole tout un système de lagunes et de bras de mer, le delta du fleuve Paresses (au pluriel), avec, au loin, l’inouï parc des Lençoïs Maranhenses, milliers de lacs d’eau douce aux tons d’émeraude et d’aigue-marine sertis dans le sable des dunes.

Tout est affaire de styles, d’allures, de rythmes. A Belém: le “Carimbó”. A São Luis, le “Tambor de Criolo”. Dans le Pará, on sent chez les gens , (pour simplifier), une espèce de gravité méditative qui est sans doute la marque de la culture indienne. En apparence, le maranhense semble plus festif. En fait j’ai rarement rencontré un endroit où on fait autant la fête qu’ici. En dehors même des périodes de carnaval ou de fêtes juninas (du mois de juin) où l’animation est permanente, la ville retentit souvent de la rumeur des tambours, même en pleine semaine. Les traditions populaires sont très riches, les manifestations colorées et somptueuses.
En même temps le Maranhão est un des états les plus pauvres de la fédération. Comme ailleurs, mais sans doute plus qu’ailleurs au Brésil les écarts de richesses sont considérables. Entre, par exemple, ceux qui habitent des cabanes précaires sur pilotis au bord du fleuve et puis ceux qui vivent dans les résidences fermées, les “condominios fechados”, pour gens aisés, protégées par de hauts murs, des barbelés, des vigiles.
Cette situation, pour problématique qu’elle soit, ne génère cependant pas de tension palpable: les gens sont généralement affables, serviables. Mais les affrontements politiques sont sans merci. Le Maranhão est depuis longtemps, plus d’un quarantaine d’années, le fief de la famille Sarney. José Sarney est un homme politique qui a réussi à survivre à tous les régimes et à tirer son épingle du jeu dans la plupart des épisodes récents de l’histoire du Brésil. ¨Proches des militaires sous la dictature, il sera cependant Président de la République au moment de la transition démocratique puis on le retrouvera allié de Lula au moment de la première élection de celui-ci. Après une petite période de relatif effacement il vient d’effectuer un retour remarqué sur le devant de la scène en parvenant à se faire ré-élire président du Sénat. En 2006, cependant, sa mainmise sur le Maranhão est remise en cause par l’élection d’un condidat social-démocrate au gouvernement de l’état, le Dr Jackson Lago, personnalité de la gauche locale, vieil adversaire de Sarney. Le clan Sarney n’admet pas sa défaite et, essaie, depuis cette époque de faire annuler l’élection du Dr Lago en utilisant tous les recours juridiques possibles. L’affaire doit être jugée jeudi prochain à Brasilia par le “Tribunal électoral Supérieur”. Jackson, comme on l’appelle familièrement ici, risque la destitution.

C’est dans ce contexte assez tendu que j’arrive à São Luiz, hébergé par un couple d’amis proches du gouverneur mis en accusation. J’accompagne donc l’affaire de près. Pour compliquer un peu les choses, le mari du couple en question vient d’être nommé à la tête de la compagnie des eaux de l’Etat du Maranhão. A peine a-t-il pris ses fonctions que les installations qu’il a hérité de la gestion précédente, mal entretenues, commencent à tomber en panne les unes après les autres: les pompes qui alimentent São Luis en eau potable s’arrêtent , les tuyaux, dévorés par l’oxydation, éclatent... un million de personnes sont menacées d’être privées d’eau. Mon ami ne dort plus, Vingt quatre heure sur vingt quatre sur le pied de guerre, avec ses équipes qui se relaient pour remettre les installations en fonctionnement. Pendant que ses adversaires politiques s’en donnent à coeur joie qui ont pourtant une certaine responsabilité dans l’histoire car ce sont eux qui ont laissé se dégrader la situation et qui n’ont pas pris les mesures en temps utile quand ils étaient au pouvoir, durant les mandats précédents.

J’admire le calme avec lequel José Augusto affronte cette situation, le calme, la créativité, un humour et un optimisme “de méthode”. Entre interviews à la télé et interventions sur le terrain, il conduit sa barque avec souplesse et autorité. Dans l’adversité, les brésiliens se laissent rarement aller à la dépression et à l’amertume. Au contraire, ils redoublent d’énergie et d’ingéniosité.

Dans ces régions nord/nord-est du Brésil les choses sont fluctuantes et mouvantes, plus encore que dans d’autres régions. Il est parfois difficile de marquer des rendez-vous de travail à proprement parler. Il faut avancer, heure après heure, saisir les opportunités qui se présentent. Par exemple j’ai eu besoin de m’entretenir avec le secrétaire d’état à la culture du Maranhão qui est, en quelque sorte, le Ministre de la Culture du gouvernement de l’état du Maranhão. Au Brésil, l’expérience montre qu’il vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints. Dans une société à la hiérarchie plutôt pyramidale, Il n’est pas inutile, quand c’est possible, de se présenter et de parler au chef-même si ça n’est pas lui qui suivra ensuite l’affaire au jour le jour. Dans ce cas précis il aurait sans doute fallu que je m’y prenne très à l’avance car le “secretario” est évidemment quelqu’un de très occupé. Mais pas de panique, il y a toujours un moyen. Son assistante me conseille d’essayer de lui parler pendant un bal de carnaval qui a lieu le soir même. José Augusto qui le connaît se propose gentîment de m’aider. Nous voilà donc parti dans la nuit chaude et remuante de São Luis à la recherche du ministre.

Le bal de carnaval en question est entouré de tout un cordon de sécurité. C’est que le gouverneur en personne y assiste. Et les places sont chères car il s’agit d’une fête philantropique dont les bénéfices seront reversés à une oeuvre sociale. Passés donc les contrôles d’usage, on se retrouve dans un vaste hall où une joyeuse foule costumée se presse et se balance au son de la batterie d’une école de samba dans une température de sauna. Nonnes en bas résille, amiraux d’opérettes, empereurs romains, vampires, sorcières, sheikh arabes, bagnards, cow boys, anges et dyables de tous les sexes et, bien sûr, reines du carnaval savamment déshabillées tout ce petit monde ondule et gigote, toutes générations confondues. Au milieu de ce grand pandémonium bon enfant, circulent des photographes de presse et les caméras de la télé. Un coup de projecteur à gauche, on repère le ministre. José Augusto se fraie un passage en distribuant ça et là beijos et abraços (il connaît tout le monde) et met la main sur le personnage officiel qui se révèle quelqu’un de très accessible et de sympathique sans aucune cérémonie. Comme le vacarme perturbe la conversation, il me donne son numéro de portable et propose que l’on se rappelle demain.

Sur scène l’école de samba a laissé la place à l’excellent Jorge Aragão qui pratique une samba plutôt sophistiquée. Aragão excelle dans ces sambas au rythme souple et lent, presque paresseux. En ayant l’air de ne pas y toucher, il mène sa barque au doigt et à l’oeil: rien de superflu, ça tourne rond et bon, ça pulse en douceur, la mécanique est impeccable et rebondissante, les chansons s’enchaînent sans interruption pendant quinze, vingt minutes, et parfois, tout en s’épongeant le front avec une serviette blanche Jorge Aragão fait quelques commentaires, raconte une blague sans que la bonne cadence s’arrête. Et à la tête de son équipage, conduisant ainsi fièrement son navire-samba, il rentre tranquillement dans les petites heures du matin pour aborder, fourbu mais comblé, aux rives de l’aube.