samedi 14 novembre 2009

Diadema, jeudi 12 novembre 2009




A balança pesa o peixe
A balança pesa o homem
A balança pesa a fome
A balança vende o homem

(La balance pèse le poisson
La balance pèse l’homme
La balance pèse la faim
La balance vend l’homme)

Dans la chaleur de cet après-midi d’été, les MCs (Maîtres de Cérémonie dans le langage Hip-Hop) de la « Casa do Hip Hop » de Diadema près de São Paulo scandent le poème, le rythment à leur façon, le démontent et le remontent, mélangent mots et syllabes, le font sonner de mille manières. Les « Beat boxers » y rajoutent des percussions vocales. De temps en temps un chœur se forme qui accompagne et encourage le soliste…
Après un bref temps d’observation et de présentations, les vocalistes de la « Casa do Hip-Hop » venu en nombre (entre 30 et 40 personnes) participer à notre atelier se sont complètement investis dans les exercices et jeux musicaux que nous avons proposé, Xavier Desandre-Navarre et moi-même et ils se sont complètement approprié « Ver-O-Peso » le poème de Max Martins, grand poète d’Amazonie disparu au début de cette année, que j’avais apporté comme premier prétexte d’une rencontre entre leur démarche et la nôtre. Le poème parle de la dure vie des pêcheurs qui apportent leur poisson au marché « Ver-O-Peso » (Littéralement : « Voir le poids ») de Belém : est-ce l’homme qui mange le poisson ou la faim qui dévore l’homme ? Le poème joue de cette allitération entre homem (homme) et fome (faim) avec au milieu, en arbitre froid de cette tragédie, la balance qui pèse le poisson, l’homme, la faim… la mort.

J’avais envie depuis longtemps déjà de proposer à des rappeurs compétents et créatifs comme ceux de Diadema de réaliser un travail sur des poèmes considérés comme plus ou moins « classiques ». Et ils ont complètement joué le jeu, ils ont accepté de sortir de leurs repères habituels pour livrer une lecture singulière et inhabituelle de ce texte.
On sent aussi qu’ils se connaissent bien et qu’ils ont l’habitude de jouer et d’improviser ensemble, ce qui facilite grandement les choses.

Cette « Casa do Hip-Hop » est un projet de la municipalité de Diadema qui a commencé il y a une bonne dizaine d’années. Diadema est une banlieue pauvre et problématique de São Paulo qui était, il n’y a pas encore si longtemps, largement constituée de favelas. Les équipes municipales du PT, le Parti des Travailleurs de Lula, qui se sont succédées ici depuis plus de 20 ans ont transformé peu à peu le visage de cette ville de 500.000 habitants en créant des « noyaux d’habitations populaires » avec petits immeubles et maisons en dur, tout cela au prix d’un effort considérable, notamment dans le domaine culturel.

Il y a un grand réseau de bibliothèques publiques et de centres culturels dont cette « Casa do Hip-Hop ». La « Casa » est constituée d’un préau avec une scène et un espace assez vaste pour la danse. Puis on débouche sur un patio magnifiquement décoré avec des fresques de différents styles mais toutes d’une très grande qualité graphique. Certains des jeunes qui fréquentent cette « Casa » sont là depuis les débuts et tentent de développer leur art, d’enregistrer, de se produire dans cette ville-monde qu’est l’agglomération de São Paulo, gigantesque chaos urbain aux limites indéfinies.

Cette « Casa » est un beau projet culturel bien adapté à la « réalité » (comme on dit ici) de ces jeunes. Mais sa mise en place, comme on peut l’imaginer n’a pas été aisée. D’autant que la municipalité a joué le jeu d’une certaine participation démocratique de ces rappeurs à la construction du projet. Ceci dit , le résultat est là : on ne peut qu’être frappé par la qualité, par la musicalité de ces musiciens des mots et des rythmes aux personnalités bien affirmées. D’ailleurs la chaîne de télévision « Globo » ne s’y est pas trompée qui a filmé toutes nos activités durant l’après-midi. Car c’est la « journée mondiale du Hip-Hop ». Nous sommes passés en direct au début de l’après midi et en différé, avec un autre reportage, dans le journal de la nuit.

17h30…l’atelier se termine et les break dancers s’y mettent. Après avoir été mis en voix et en musique le texte est maintenant dansé, passé au feu de la grande énergie de São Paulo, la « Métropolis Tropicale » qui pulse, qui dévore toutes les cultures, qui recycle tout pour créer les poèmes inouïs (c’est à dire jamais encore entendus) de demain matin.