lundi 2 février 2009


Vendredi 30 janvier.

Quand on perd un peu de vue certains amis et que ceux-ci deviennent, dans cet intervalle, des personnages importants, on se demande, un peu inquiets, comment on va les retrouver. Est ce que la fonction les aura changé ?
Carlos Calil, que je connais depuis une quinzaine d’années dirige la politique culturelle d’une des plus grande ville du monde. Il est "secretario de Cultura" de la ville de São Paulo. Après avoir été cinéaste, professeur d’Université et chercheur, le voilà sur le terrain avec toutes les compétences et la culture requises. Carlos Calil est aussi un spécialiste des “aventures brésiliennes” de Blaise Cendrars et c’est cela qui nous a rapproché et lié. Aura-t-il gardé son solide sens de l’humour, sa sensibilité mais aussi ce regard amusé et distancié qu’il porte sur le spectacle du monde comme il va ? Je pense à tout cela comme je patiente quelques instants dans la salle d’attente de son bureau. Mais voilà bientôt Calil, c’est lui-même qui vient me chercher, filiforme, l’oeil pétillant et le sourire en coin. Me voilà rassuré.

On discute de choses et d’autres et notamment de l’intérêt qu’il y aurait à célébrer Cendrars et son amitié profonde avec le Brésil en cette “Année de la France”. Cendrars et les modernistes paulistes des années 20 (Oswald et Mario de Andrade, Tarsila do Amaral entre autres) ont vécu une histoire d’intense complicité artistique et d’inspiration réciproque. Leurs oeuvres littéraires, plastiques, musicales (Villa Lobos) se répondent et se nourrissent les unes les autres. Les tempéraments, les méthodes, les processus créatifs se complètent, s’équilibrent, s’épanouissent dans cette relation féconde. C’est un bel exemple de métissage culturel poussé très loin, sans que personne ne perde sa voie ou renie ses origines. J’ai mis en musique certains poèmes des “Feuilles de Route”, le journal poétique que Cendrars a donné après son premier voyage ici (en 1924) et où São Paulo et ses environs tiennent une bonne place. Certains musiciens de mes amis paulistes connaissent bien cette aventure qui les a aussi nourrit. ça n’est pas par hasard si Rodolfo Stroeter a appelé son groupe “Pau Brasil” qui est le titre du recueil de poèmes qu’Oswald de Andrade écrivit, en 1925, en réponse aux “Feuilles de Route” de Cendrars et qui fut publié à Paris... par Cendrars.

Pour la petite histoire voici une belle et troublante synchronicité: “Pau Brasil” veut dire en portugais bâton ou arbre de braise parce que la chair de l’arbre ainsi nommé était rouge et fort recherchée comme bois de teinture par les portugais et les marins français au début de la colonisation portugaise. C’est cet arbre qui a donné son nom au Brésil. Tandis que Blaise Cendrars voulait dire, dans l’esprit de Frédéric Sauter (son véritable nom) qui s’est forgé ce pseudonyme: Braise et cendres. Il y avait là comme une prédestination...

Mais pour revenir à nos projets nous avons en mains tous les ingrédients nécessaires pour faire un bel hommage à Cendrars à São Paulo. Et pas seulement un hommage mais aussi une célébration et une manifestation de ce que cette histoire signifie pour aujourd’hui. Il faut maintenant réaliser et mettre en oeuvre ce qui est une autre paire de manches.

Je retrouve un peu comme un écho de ces aventures du siècle passé dans ma rencontre avec le poète-musicien Celso Borges. En réalité j’ai rencontré Celso ou plutôt son oeuvre à São Luiz do Maranhão, bien au nord, quand Josias Sobrinho qui est un des responsables de la politique culturelle de l’État du Maranhão m’avait fait passer “Música” un livre- Cd, dernière oeuvre parue de Celso. Au cours de mes pérégrinations je reçois souvent livres et Cds qui sont de qualité inégale. J’avais mis presque distraitement le Cd de Celso dans mon ordinateur et tout de suite j’avais été saisi: la qualité des textes, l’interaction avec la musique tout emportait ma conviction en même temps que je découvrais un “frère de son” comme on dit ici dont je sentais la démarche et l’inspiration très proches des miennes: considérer le texte comme une partition rythmique et mélodique, en faire surgir la musicalité sous-jacente. Celso est “maranhense” (originaire du Maranhão) mais vit à São Paulo. C’est donc seulement ces jours-ci que j’ai pu le rencontrer. Et nous avons immédiatement vérifié notre complicité. C’est toujours émouvant de découvrir ainsi des gens qui se sont aventurés dans les même contrées ( peu fréquentées) et qui en ont retiré des enseignements et des émotions proches, qui ont des démarches et des aspirations voisines, chacun dans son chant particulier. Je pense aussi à l’ami Philippe Colombo avec qui j’ai pareil sentiment, chanteur et viticulteur qui compose et chante comme on fait du bon vin à moins que ça ne soit l’inverse : http://www.myspace.com/philippecolombo

Je rêverai d’une manière d’établir des connexions entre ces chercheurs de l’esprit
(comme disait Nougaro) qui font partie sans le savoir d’une espèce de famille spirituelle point encore identifiée.
En attendant nous causons avec Celso dans la douceur de la nuit pauliste, évocant les poètes de la Beat Generation et quelques autres amis communs, célébrant le verbe-musique qui dit peut-être, secrètement, quelque chose de la méthode et des intentions de Dieu.