mardi 3 février 2009


Samedi 31 janvier
Ce matin, sortons de la « Métropolis », de la ville pieuvre et vampire, de la matrice abusive et possessive, éloignons-nous un peu de la grande turbine, allons respirer un autre air. Il fait un joli temps ensoleillé, une température idéale avec une belle procession de nuages blancs. Prenons un bus non loin de l’endroit où je réside, direction Cotia. En une grosse demi-heure, changement complet de décor. Je me retrouve dans une petite ville de l’intérieur avec des maisons basses, une rue centrale où une foule tranquille baguenaude dans le commerce, déambule dans le shampoing (le lavage des cheveux est une activité fort importante au Brésil), dans le tennis (la marque du tennis est stratégique), dans des étalages rutilants de viande. Il y a les éternels chiens maigres qui font la sieste, les marchands de picolés (des petites glaces aux fruits), les kiosques qui vendent des bonbons, des sandwiches et dont les propriétaires affichent leurs convictions : « Dieu est fidèle », « Le Seigneur est mon pasteur et rien ne me manquera »... et qui proposent aussi des petites bricoles et autres chinoiseries électroniques, des Cds : l’un d’eux affiche d’ailleurs :« Cds évangéliques et Cds normaux »...(Ce qui n’est pas très gentil pour les Cds évangéliques), les gamins qui se faufilent en vélo -A São Paulo on voit très peu les enfants-, les vieux assis sur les bancs publics et qui discutent.

Je vais rendre visite à un couple d’amis très chers: Lelo et Irati. Lelo, j’en ai parlé dans un chapitre précédent, est selon moi l’un des musiciens les plus talentueux de sa génération. Il a notamment animé le légendaire “Grupo Um” dans les années 80. Il a participé au groupe “Pau Brasil” quand j’ai produit leur Cd “Métropolis Tropical”, on lui doit des compositions lumineuses et animées d’un puissant souffle rythmique entre jazz sophistiqué, musique contemporaine, musique éléctro-accoustique. Allez l’écouter sur www.myspace.com/lelonazario et attendez vous à être surpris et quelque peu chahutés dans vos concepts de “musique brésilienne”. Lelo a choisi récemment de s’établir en retrait du tumulte pour se consacrer à ses diverses activités: la composition, mais aussi le “mastering” (la mise en forme technique d’un enregistrement avant le pressage du Cd) dont il est un des maîtres incontestés au Brésil.

Avec sa compagne Irati, Lelo s’est donc installé dans une petite localité non loin de Cotia, dans un ensemble résidentiel fermé, (formule qui se développe beaucoup au Brésil en particulier pour des raisons de sécurité) et s’est fait construire une maison dans les arbres et les oiseaux avec un studio attenant.

Tandis qu’Irati, après avoir traduit le livre de Barack Obama qui a fait un énorme succès ici au Brésil, s’attaque à celui de (ou sur) Michelle qu’elle doit rendre avant peu, nous devisons Lelo et moi.
Presque trente ans que nous nous connaissons et que nous travaillons ensemble à intervalles irréguliers. Ensemble nous avons produit des Cds (les siens, les miens), nous avons composé (Moi le texte, lui la musique), réalisé divers projets culturels. Voici donc le professeur Nazario en son laboratoire. Rien de ce qui est informatique ne lui est étranger. Il va pêcher, loin au fin fond d’Internet, des sons précieux et inédits qu’il combine dans une alchimie subtile, avec ceux qu’il élabore ici. Mais sa démarche n’est pas seulement cérébrale et conceptuelle comme d’autres qui produisent de cette façon des oeuvres compliquées et assommantes. Le chant électrique de Lelo est toujours traversé d’un mouvement, d’un jaillissement qui embrase la matière musicale quelle qu’elle soit et la fait danser. Il se met au piano, mais un piano relié au cerveau central de l’ordinateur qui dispatche et mélange dans ses circuits mille sons troublants. Un monde de fleurs musicales odorantes et inconnues se réveille et s’épanouit, remplit la pièce, le studio qui devient soudain nef croisant aux confins de la galaxie.

Mais il se fait tard, le soleil descend sur un paysage de collines et de forêts et je veux repartir avant la nuit car ça n’est pas une bonne idée de se promener en bus dans la banlieue à la nuit tombée. J’attrappe mon autocar à la gare routière au moment où le ciel s’ouvre et c’est dans le giclement de l’averse et dans un rideau compact d’eau que je rentre dans “l’Unité Centrale”, le siège de l’Empire, la cité vorace.