jeudi 26 novembre 2009


São Gonçalo do Rio das Pedras 22 novembre 2009
Photo de Dona Ilídia par Lori Figueiró

Encore un saut d’avion vers le nord-ouest et quelques heures d’autocar dans « l’intérieur » et je retrouve les montagnes bleues du Minas Gerais, cet environnement de pierres qui pensent et de buissons qui parlent, Minas des enchantements et des malédictions.

Temps suspendu, Minas-méditation. Ici on tombe dans la contemplation comme un galet dans le fond d’un bassin d’eau vive, de cette eau fraîche et douce des cascades de Minas.

La maison est un peu à l’écart du village, immergée dans une petite forêt.
On n’a pas idée du calme de ces parages, de ce concerto pour silence et oiseaux, pour insectes et souffles. Hier, quand j’arrive, la sono est en panne : impossible d’écouter de la musique enregistrée. Tant pis. Tant mieux. De la « varanda », terrasse couverte à l’air libre qui s’avance à toucher les frondaisons des arbres où je me tiens en compagnie de deux bougies, j’écoute la polyphonie des animaux de la nuit. Les minuscules cymbales, les flûtiaux, les soupirs, les sanglots étouffés et tout au fond, en toile lointaine, une chorale de crapauds qui se répondent en appels décalés.

Je me tiens sous un croissant de lune d’une netteté absolue sur le velours noir, sous un grand fleuve d’étoiles sur l’obscur intense, dans la tiédeur de cette nuit d’été, dans la noirceur lumineuse de Minas.

Ce matin, je fais le tour du verger. Pitangas, carambolas, acerolas, papayes, goyaves, cajous, umbous, maracujas, piquis, dix variétés de mangues, d’oranges, de bananes, de mandarines. Mais le sol est ingrat, sec et sablonneux. Les arbres peinent à croître, se rebellent, se tordent pour quêter la lumière et l’humidité, sont attaqués par des colonnes de fourmis tenaces, de termites en guerre, de chenilles vénéneuses… Ainsi les gens d’ici, plutôt « taiseux », circonspects, la peau dure et tannée, le corps noueux. À l’image de cette terre âpre, le « mineiro » est volontiers taciturne et solitaire, même lorsqu’il est en société. Mais il sait ramasser sa pensée et sa méditation en phrases fulgurantes et inspirées qui touchent au cœur : Les signes de vraie vie nous sont tellement étrangers (João Guimarães Rosa ).

Et le dimanche s’écoule dans la belle et haute lumière de ces parages. Sur la « varanda », je déguste un poulet au sang, une des délicieuses spécialités de la région, avec une polenta de maïs et du chou portugais (couve) frit. Un cavalier passe sur le chemin, tirant derrière lui une mule bâtée, chargée de fagots. On est dans un autre espace-temps. Ce village est encore protégé d’une certaine agitation car, pour y parvenir il faut affronter 40 Km d’une route de terre complètement défoncée. Mais on parle de goudronner. Alors, avant qu’il ne soit trop tard, Lori et Márcia, des amis voisins ont créé un centre culturel, le Centro de Cultura Memorial do Vale, et ont entrepris de filmer les témoignages des anciens des environs.

À la nuit tombée, ils me montrent les récits de Dona Zeca et de Sr Nestor (92 ans) qui parlent du temps, pas si éloigné, où il n’y avait ni eau courante, ni électricité, ni même route, du temps où tous les déplacements s’effectuaient à cheval ou à pied, du temps où, pour transporter un malade à la ville, 20 hommes se relayaient pour porter le brancard pendant 40 km de sentiers sinueux… Mais, dans leurs souvenirs, cette vie était bonne, l’eau des cascades était pure et l’on s’amusait beaucoup avec très peu. Témoin Dona Ilídia qui a sans doute près de 90 ans, élégante et malicieuse, qui s’est laissée filmer en train d’ouvrir une ombrelle et de réciter un beau poème avec l’aplomb et l’éclat d’une véritable « star » :

Veja-me só que elegância
Em que ponto eu hoje estou
Com esta bela sombrinha
Que o padrinho me comprou.

Andando assim como eu ando
Toda galante sombrinha
Não há ninguém que me deixe
De julgar como uma mocinha.

Quero que todos exclamem
Isso sim não é menina
Repare e veja que é
Uma mocinha pequenina.

Seguro na minha sombrinha
Como faz toda senhora
Mas não se ria de mim
Senão daqui eu vou me embora.

E quem muito há de gostar
De me ver assim vestida
Toda catita e galante
É a mamãezinha querida.

( Texte recueilli par le Centro de Cultura Memorial do Vale )


Que je me suis permis de traduire très librement :


Regardez-moi quelle élégance
Et quel éclat, quelle prestance
Je suis sous une belle ombrelle
Que mon parrain m’a acheté



Marchant ainsi comme je marche
À pas menus, à pas comptés
Je veux ici que tous s’exclament :
« On dirait vraiment une dame ! »

Mais ne vous moquez pas de moi
Ne riez pas derrière mon dos
Car si j’entends que l’on ricane
Je m’en irai tout aussitôt.

Et celle qui va adorer
De me voir ainsi pomponnée
Celle qui va être ravie
C’est petite maman chérie.

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